dimanche 23 février 2014

Rien.

Je n'ai rien fait au Brûleur de loups, rien.
Je n'y suis pas née. Je n'ai rien enfanté. Mon âme n'a pas été brûlée. Mon foie par l'alcool. Mon vagin fendu.
Une petite coquille toute blanche et innocente en apparence, qui n'a rien à en dire, qui dessine des choses déjà vivantes. Jamais fortes, toujours vécues, jamais survivantes non plus.
Rien, absolument rien vous comprenez ?! Que de la coquille, que de la coquille un peu toute saine, qui se dit saine, qui se donne saine.
C'est de la colère peut-être, c'est ce que vous voulez, mais ce n'est pas la joie.
Plus rien rien du tout plus rien du tout qu'est-ce qu'on y peut, rien plus rien du tout on n'y peut rien, regarde là il y a une toute petite fissure un morceau de gymnopédie grippée, pleurnichant dans le noir d'une étoile et d'un drap en coton gris. Encore peu assez de mots pour faire éclater le mutisme qui vernit la coquille idiote. Prends l'archet qui est posé sur la table dans le coin là-bas s'il te plaît, oui, peux-tu frapper sur ma coquille avec s'il te plaît, mais c'est bon sang de pas possible de faire briller une coquille avec de la flotte on t'a demandé du vernis un truc superficiel, superflu, super flou. Bon, file-moi cet archet, oui je te l'arrache de la main, et alors ? Tu sais en jouer, peut-être, de la contrebasse ? Je ne t'ai demandé que de me fissurer, de briser cette putain de coquille, fais quelque chose ! Non je te la prends, c'en est trop. On ne peut décidément compter que sur soi-même, même pas ! On ne peut décidément même plus compter sur soi-même, on ne peut que s'en remettre à un archet dans cette foutue prison ? Mince ! Une prison ? Un piège oui ! Une sale prison en lait, sale membrane toute rigide, elle ne transparaît rien, de sa couleur juvénile, adolescente, naissante, c'en est à vomir. Donne-moi cet archet ! Donne-le moi à la fin ! Je vais te casser la gueule avec ! C'est tout ce que je vais faire, je ne vois pas ce que je pourrais faire d'autre. Arracher les dents du piano aussi, et te les lancer au visage, qu'elles te cassent les tiennes, de pauvres dents hypocrites !
Et ne te cache pas derrière ta main ! Je vois bien que la sarabande te fait pleurer pauvre faible. Tu ronfles, tu ronronnes, on ne distingue même pas ce que tu es vraiment derrière tes doigts menteurs. Peut-être serais-tu plus vivant dans un nid de coton ? Et puis quoi, encore ? Et puis quoi ? Je pense que l'archet ne suffit plus, que les dents ne me permettront même pas de te déglutir, ta coquille ne me donne même pas faim, de toute façon, peut-être que je vais utiliser mon pied et marcher sur ta coquille ridicule. Là, tu seras bien embêté, là, tu me demanderas non plus d'exister, là, tu aboieras, là tu changeras de regard, malheureux regard. Je ne t'ai demandé qu'un archet pour sacrifier la coquille qui nous ensserre ici tous les deux, tu ne vois pas que nous manquons d'oxygène maintenant ? Je suis persuadée que ce n'est pas cela qui te fait pleurer, je te sais très bien pour reconnaître ton état de mensonge. La coquille s'étouffe de choses qui ne nous appartiennent pas, tu vois bien, le vernis n'est même pas de nous.
Mais je veux hurler ! Je veux hurler et les mots tu les lis bêtement ils ne te hurlent pas combien j'étouffe ! Je hurle ! Je veux hurler !! Je hurle ! Hurle avec moi ! On va hurler tous les deux ! Donne-moi la main ! Rends-moi l'archet ! Peut-être que lui pourra nous offrir du coffre, du bon sang de coffre en bois, mais bon sang qui a mis du vernis sur le coffre de bois ?! Qui nous vernit à longueur de temps ? Es-tu payé pour nous vernir ainsi ? Quels sont tes horaires de travail et es-tu bien payé, au moins ?! Non je veux hurler, on va hurler tous les trois, prends la contrebasse et appuye sur les cordes graves, appuye dessus comme si tu voulais leur faire du bien à exprimer ton pire cauchemar, ta souffrance, ta condition, ta douleur ! Appuye dessus je te dis ! 

Jamais tu n'écoutes. Même quand je hurle.

Prends-moi dans mes bras. Calme-moi. La troisième sarabande apaise un peu mes yeux. Et les tiens ? Oh, quand tu presses sur ces tons graves, c'en est presque de la sublimation du mal. C'est ridicule. Se complaire à ci, se complaire dans ça, donne-moi ton cuir tout écrasé que je te montre combien on n'a peu besoin de lui. Pas de cuir ! C'est fini. Et puis tu n'écoutes pas, même ta peau n'écoute rien. Elle n'écoute pas, est-ce qu'elle entend, au moins ? Elle n'entend pas, elle n'entend rien, elle ne sent rien. Elle y verrait bien une odeur se répandre, tout de même, de ce pauvre vagin fendu on ne sait où. Et ne me répond pas qu'il est sali ! Je te l'interdis. Moi non plus, tu sais, je n'entends rien, je ne les entends pas, ah non ces mots sont loin d'être une passion à leurs yeux. Comment voudrais-tu qu'ils voient quelque chose si on ne les entend pas ? Vois, tout de même, comme la coquille t'empêche de gesticuler. On se perd, on perd le fil de notre pensée. Mais je ne t'oublie pas. Je t'ai à l'oeil, à l'oeil embué, à l’œil tout de même. A l’œil, à l’œil, à l’œil ! Tu m'entends ! Prends garde à toi. Je te surveille ! Je n'oublie pas. C'est à cause de toi qu'on est bloqué là. Tout ce fatras dégoutant est à cause de toi. Ah oui, tu me parlais de Brûleur de loups, et bien rira bien qui rira le dernier. Je t'ai à l’œil. 

Et gare à toi. Et gare-toi. Tiens, là, gare-toi là, ici. Dans un coin, mets-toi dans ce coin, éloigne-toi un peu de moi. Eh oui, tu constates, et tu es surpris ? Et ça te surprend, qu'on soit aussi serré là-dedans ? A qui la faute ? On accuse, on déplore : A... Qui... La...faute ! Tais-toi ! Tais-toi quand tu parles, ce n'est pas croyable ! Je t'en veux oui, je veux un peu de toi, je t'en veux à toi, à moi, dans le silence total de la nuit en plein centre d'une ville, il y a le silence mais cela ne m'empêche pas de résorber les cris qui sont dans cette tête. Bon, je l'avoue, je me suis calmée petit, je me suis calmée. Mais ce n'est pas grâce à toi ! Souviens-t'en, de ma menace, elle n'était pas en l'air. Elle n'était pas lancée en l'air, et si elle l'est, lancée, elle risquerait bien de tomber très lourdement sur ton pauvre visage tout défait. Oui je t'en veux, bon. Bon. Bon ça fait du bien de temps en temps de crier un peu. Les cordes vocales se réveillent un peu, dans le noir et ça leur fait du bien, je crois. Je ne sais pas. Moi la peine ça me rend vivante, alors. Que veux-tu. Enfin, "de tes envies, on s'en fout". On s'en fout, de tes envies. Ce qui compte, c'est que ça roule. Pas cette foutue coquille immonde non, mais nous quoi, nous deux, qu'on s'entende un peu, parfois. Qu'on se considère pas condamnés dans une coquille. Puis qu'on abroge la coquille. Qu'on vive, quoi. Oui moi c'est ce que je veux, vivre. Vivre un peu, quoi. Non, il n'y a pas plus de raison de s'affoler, maintenant. J'ai déjà le ventre qui m'appelle et qui brûle. On sait bien pourquoi. Toi aussi. Oh non, pour cela, je ne t'en veux pas. Je résouds plus ou moins le problème par moi-même. Mais pour le reste, crois-moi que ton dos, tu as plutôt intérêt à continuer à entretenir son creux et sa robustesse ! 

Je n'en ai pas fini avec toi. 


Pari Banou retrouvée - 1 février 2013

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