dimanche 27 juillet 2025

Un texte pour Viviane

 Un texte pour Viviane sans Viviane et sans moi par la voix de maman,

Une page blanche qui doit se remplir pour combler un manque déjà acté

Un texte pour une femme qui est passée dans nos vies

Une femme belle comme une collection de rires, d’arbres magiques, et de peines aussi. 

Viviane je t’écris même si tu n’entends pas, mais si c’est le cas, s’il te plait rappelle-toi,

Et tous ici avec moi, joignez-vous à moi pour imaginer ça :

Imaginez un soleil de fin d’après-midi dans un jardin grand comme le monde entier,

Des petites filles qui s’amusent, qui mangent à n’en plus finir,

Pendant des histoires toujours folles qui nous faisaient rire,

Ou après une balade entre les rangées de fruits rouges. 

Sauf qu’avec Viviane il faut qu’on bouge ! 

Il fait froid mais c’est comme ça, après le repas, c’est promenade dans les bois. 

Pour moi c’était le passage obligé, avec Viviane, c’est sûr, on va se balader. 

On va sautiller sur les brins d’herbe dans la forêt, 

Les champs brillent avec la rosée,

Discuter des derniers kilos de champignons que tu as trouvé là-bas,

Bâton de marche à la main, les escargots filent droit.

On avance nos montres car le mois d’avril approche,

Cette fois, le gâteau brille de bougies et de tes sourires. 

Avançons en août et nous voilà en Andorre,

Jusqu’à tard, les deux copines à rigoler encore,

Christophe nous ramène les pains au chocolat, 

Et toi Viviane, parce que tu ronfles, on sait que tu dors ! 

Papa et maman se séparent, et toi tu es là,

Gérard dans nos cœurs, et toi tu es là, 

Christophe nous fait rire, et toi tu es là, 

Marie souriante, et toi t’es là,

Bernard s’en va, toi tu es là, 

Pauline fleurit, toi tu es là.

Comble de l’ironie, quand c’est toi qui pars, je ne suis même pas là…

Mais si l’on devait me scruter le cœur, tu verrais, et je sais que tu sais, 

Qu’un morceau assez gros, 

grand comme un gâteau bonne mémé,

Te sera toujours dédié. 

Facebook Remittances XII

 Once a student of mine said: "Professor, on your Insta, you really are Orientalistic, you only post pictures of you with black and asian people". This sentence was powerful. It made me ponder self-depiction online and the never-ending issue of assessing people's intentions. It also made me realize how non-communitarian (hence non-conventional) my surroundings were in Kuwait. Did the student mean that there were not enough White people on my Insta for a French person? Because, and this is what I told her, there were probably as few white or French people as there were Kuwaitis or Arabs in my pictures. Was the problem the blackness or Asianness, the lack of Arabness, or the lack of Whiteness? 

I just answered: but these people were my friends!

I didn't really have any friends in Kuwait, aside from my crazy Lebanese family, two American colleagues, my strange Indian ex, and my friends-informants, whom I used to meet the most. The rest would basically ghost and ignore. That's a thing over there.

Indeed, I found that it was much more interesting to post about all the initiatives the NGO would do than the sheesha I would smoke with my other buddies. And I had love for my friends-informants. And reversely, my friends-informants are so prolific on social media, much more than the other people I knew; sometimes taking my phone to take pictures without me on it (the camera quality was the point). Every Friday evening, we would find each other in hundreds of images and selfies on one another's accounts online, holding the rest of the week through these pics until the next meeting on Friday to take pictures again. These picture times were social and vital. From the eyes of my student, my Insta aesthetic was not making sense (digital platforms as media also contribute to shaping what we consider making sense on a given one - Insta dream holidays esthetics), leading also to my affection for my friends-informants not making sense either: I think it was just not on the table. Instead, she argued, I was constructing an image of a righteous-humanitarian kind of white person (thus, I would add, denying my capacity for non-vertical affects towards my informants). 

Now the question is: from a reflexive point of view, what does researching migrant labor in the Gulf racially mean / can it mean something else?

Digital Remittances XI

Après une nuit difficilement aérée dans mon appartement marseillais, je me réveille dans un lit dont j’avais pris le soin de changer les draps afin de me sentir le plus confortable possible. Je prends le temps de m’étirer dans le lit, et met en marche une session audio de relaxation. Assise en tailleur, je fais de longues respirations et inspirations, les yeux fermés. Je me sens détendue. Mon amie de jeunesse, venue de Perpignan pour me soutenir, dort dans le canapé-lit du salon. Nous avions convenu que pour le jour fatidique, je devais me retrouver, seule, avec moi-même. Je me prépare et me vêts de la robe verte que j’ai acheté spécialement pour l’occasion. Je pars prendre le bus pour me rendre au centre de recherche. 
J’ai soutenu ma thèse pendant l’été 2019. Un été caniculaire, et dont la chaleur a fait renoncer plusieurs personnes à venir jusqu’à Aix-en-Provence, où se déroulera l’évènement. Il est 10 heures, il fait déjà chaud, et je fais en sorte de ne pas marcher trop vite ni de faire trop d’efforts afin de ne pas transpirer dans ma robe. 11 heures 30, je m’installe dans la salle des doctorants. Cette salle, je l’ai éprouvée depuis mes études de master, il y a maintenant de cela neuves années. Peu occupée par les doctorant.e.s du laboratoire, elle n’a pas été aérée depuis longtemps et il fait chaud. J’ouvre les fenêtres. Je vais chercher une bouteille d’eau fraîche, repensant à ce que la dernière doctorante qui a soutenu ici m’avait dit : « Pas de boisson chaude, ça endort ! ».
Je redescends au rez-de-chaussée pour installer la salle de soutenance. Il faut d’abord en demander les clefs à la « dame de l’accueil ». Une amie, déjà arrivée, vient m’aider. Nous rangeons les chaises négligemment laissées ici et là, et j’installe une table au-devant du grand pupitre et du tableau. Les tables, mobilier récent, sont emboitées les unes aux autres et forment un carré que l’on ne réussit pas à défaire. Ma table sera donc au milieu de ce carré. Ma mère et mon amie perpignanaise arrivent au loin. J’en profite pour les saluer rapidement et leur indiquer la salle où se trouve le réfrigérateur, là où se passera le « pot » de soutenance. Celle-ci est exiguë et faite de baies vitrées, ce qui promet un pot confiné dans une chaleur que j’appréhende. Il existe une grande salle, bien plus agréable, mais celle-ci appartient au CROUS, faisant que nous ne sommes pas autorisés à l’utiliser. C’est dommage, c’est illogique, car en ce 8 juillet, la maison de recherche est quasiment déserte et plus aucune étudiant.e ne la fréquente depuis bientôt un mois. Plus tard, j’apprends qu’un doctorant, a pu installer son buffet à cet endroit-là, « parce que son père travaille au laboratoire ». Privilège, passe-droit, hasard ? 
Je laisse ma mère et les quelques copines déjà présentes s’affairer dans la salle et je retourne dans la salle des doctorants. La porte de la salle est encore décorée d’un poster que j’avais imprimé. On y voit un petit avion planté de dizaines de flèches, comme attaqué par des assaillants armés, où il est écrit « The anthropologists decided that this tribe was to remain “uncontacted” », une photographie que j’avais trouvée sur Internet en cherchant des images humoristiques sur notre discipline. [C'est d'ailleurs la première image que j'avais accroché à l'entrée de mon bureau à l'Université Américaine du Kuwait : nostalgie d'un passé estudiantin, ou d'une anthropologie coloniale ?]. J’y avais ajouté le titre « salle des doctorants » dont, plus tard, le doctorant féru de questions féministes avait rayé le « s » final pour y apposer un « .es ». Une petite nouveauté dans notre groupe dont je m’étais prise depuis et qui m’avait décidée à privilégier l’écriture inclusive dans mes écrits. Dans la salle, je relis mes notes et les documents que j’ai préparés. Les collègues doctorant.e.s commencent à arriver pour me saluer et m’encourager, des plus proches aux plus http://xn--loign-9raf.es/, mes acolytes de travail, celles et ceux avec qui j’ai réfléchi, avec qui j’ai ri, avec qui je me suis plainte, avec qui j’ai souffert. Je suis surprise que deux d’entre eux viennent me saluer, car nous ne nous connaissons pas beaucoup, et je me surprends à les remercier tout en revenant à mes notes. Si cela avait été à refaire, j’aurais pris plus de temps pour accueillir leurs congratulations. Une amie proche, historienne, arrive enfin ; c’est auprès d’elle que je me sens le plus familière et son arrivée me permet de libérer un peu de mon stress. On se prend dans les bras et nous rions quelques instants : « Imagine les membres du jury sur le pot ! », me dit-elle. 
Pour celles et ceux qui ont soutenu une thèse de doctorat, ce récit a quelque chose de très familier et redondant, au point de le rendre banal. Du coucher de la veille, la préparation du matin à l’arrivée dans la salle pour le moment tant attendu, les docteur.e.s ont cela de commun qu’à la simple évocation de l’expression « soutenance de thèse », tou.te.s ressentent un ensemble d’émotions immédiates bien que diverses. La peur, la joie, la déception, l’inquiétude, la colère parfois ; autant d’émotions qui ne sont pas seulement des réactions « naturelles ». À bien y regarder, celles-ci renseignent intensément sur des enjeux plus larges. La peur de ne pas être à la hauteur, par exemple, a cela de très parlant qu’elle lie un affect à une mesure : la hauteur. Cette expression renvoie, d’une manière ou d’une autre, à une idée d’échelle à atteindre pour obtenir réussite et reconnaissance. La carrière universitaire, qui s’apparente à une succession d'autant d'échecs que de réussites, de glissades, de toboggans que d'acrobranches aux appuis parfois instables, est elle-même une échelle que l'on monte. La carrière universitaire se veut incarner ce qu’ « être à la hauteur » veut dire. C'est un effort performatif, mais aussi un effort de classe. Car quand certains ont l'habitus au corps, d'autres doivent le jouer pour avancer.
Des personnes qui me sont chères, des personnes que je ne connais pas, des personnes qui m'ont vu naître, assistent à une sorte d'intronisation qui peut à tout moment se transformer en humiliation publique. Une pause. On souffle. Je croise du regard une femme venue de Saint Raphaël que j'avais rencontré il y a bien longtemps sur Internet. On avait organisé un groupe de vente de vêtements grande taille ensemble. Je vois aussi Michel, carte routière en main, qui est venu de Nice pour l'occasion, représentant fièrement la branche "amis d'enfance" pied-noiro-vietnamienne de maman. J'aperçois aussi une connaissance de la chorale dont je fais partie, j'ignore comment elle a appris l'évènement de ma soutenance. Sur le moment, je suis touchée mais l'effet bulle prend le dessus. Je veux glisser une blague, mais je ne trouve même pas quoi dire. Je veux présenter les uns aux autres, mais mon attention est ailleurs. Au final, mon père sera présenté à ma directrice de thèse avec ces mots : "tenez, voilà un autre Vendéen". Capacités relationnelles du 8 juillet : échec.
Tout ce qui se passe entre ces quatre murs, à la fermeture de la porte, prendra alors valeur d’événement, dont chaque mot, chaque geste et chaque bruit sera inscrit pour plusieurs semaines en mémoire, et mis en récit par l’entourage : « quand le prof a dit ça… » ; « et quand untel est entré dans la salle en plein milieu » ; « et quand il a fait tombé son stylo » ; "ta directrice de thèse, quand elle a retiré ses chaussures !"… toute notre attention est alors formée de sorte à donner de l’importance au détail et créer du souvenir. Et moi, je suis déçue, parce que depuis le retrait des mentions au doctorat, j'entends souvent les présidents de jury ajouter qu'ils auraient bien donné la mention "très honorable avec félicitations du jury", ce que je n'entends pas venir.
Je ne serai donc que docteure.

mercredi 22 novembre 2023

Palestine, the Fragility of the World and the Power of Yours. Or How to Be Anthropologically Hopeful

 Anthropology is probably one of the most eye-opening, fundamental, necessary, and yet intriguing discipline that one can be given to discover. The students who study social and behavioral sciences know it better than anyone: once they take their first SBSA course, their worldview is about to change for the best, or the worse. Breaking the shackles of the logic according to which the way we think, live, walk, or even eat is natural is one of anthropology’s main challenges. This semester, as I taught about how our emotions are for the most part a product of social and cultural shaping, many students shared concerns, repeating: “But what remains to be natural, in the end?”. Anthropologists would tell you that everything is cultural, even the way we conceive the notion of nature, and how we oppose it to culture. Why is anthropology “fundamental, necessary, and yet intriguing”, then? Simply because understanding how social norms, values, traditions impose themselves to humans, could help solve so many issues the world is going through, but at one condition: be willing to deconstruct evidence. As I write these lines, thousands of people, the majority of them infants, are losing their lives without any particular justification, and like those who will read these lines, my only feeling is helplessness. The massacre currently taking place in Gaza is one example among many that calls for what anthropologists call cultural relativism, and which I would instead suggest approaching with anthropological hope.

An example is the work of Julie Peteet, who dedicated her research to the first Intifada. By studying how young Palestinians have developed a tendency for uncontrolled violence, she noticed that being violent, as a man, has nothing natural. As they grow up in an uncertain and vulnerable environment, young Palestinians shape their beings that can only be reactive, and most probably, anyone in their situation would develop similar behavior patterns. The explanation, again, is not to be found in the supposed natural essence of the being, or masculine appetite for violence. Anthropology sheds light on the intricacies between violence as political system; vulnerability and restriction through limited education, economic resources, and civic engagement; all of which lead in all logic to oppression as a cultural pattern, and fragility as a “natural” behavior. Sadly, Peteet’s work dates back to 1994, that is 29 years ago. This number is significant enough (and most of us aren't even that old) to remind us how fragile and uncertain the world is, as well as to incent ourselves to tackle it through its understanding. By contextualizing media discourses and their underlying political and economic stakes, we become armed to position ourselves in the face of such human disaster.

What is the point of knowing that an oppressive political system produces violent beings? In fact, what Peteet teaches us is that violence is an expression of unbearable suffering, and that suffering can also be a motor for action. If some people react with violence, which may not be legitimate for some, it is because, deep down, they have a desire for change. And this desire is legitimate. It is what makes us human. To set out armed with this hope is what I call being anthropologically hopeful, and the obligation of each one of us is to find the strength to seize it to live in the world we dream of. 

If humans are capable of the worst, they are also in capacity to resist. As she was addressing the first Intifada, Peteet had no idea that a second one would come ten years later, let alone that such an acceleration of violence could explode in such a way today. 

Being anthropologically hopeful in front of the world’s fragility, begins by being informed and being methodologically doubtful, as Descartes put it. Believing in disbelief is hope. Questioning the world around us, questioning the most obvious certainties and givens, considering certainties as trees that hide entire forests of mysteries that society urges us to take as evidence, is hope. Being anthropologically hopeful, is to believe in humans’ inner capacity to change the world and disrupt the growth of a forest, or the will to let it spread. 

If you ever feel helpless, tell yourself this: your dreams and desires are valid. They are resistance. They can only help the way Palestinians desperately attempt to envision their survival. If the feeling of powerlessness is totally legitimate, giving up hope for a better world is not: it is the power of yours.

Julie Peteet, 1994, “Male Gender and Rituals of Resistance in the Palestinian "Intifada": A Cultural Politics of Violence”, American Ethnologist, Vol. 21, No. 1 (Feb., 1994), pp. 31-49. URL: http://www.jstor.com/stable/646520 

November 21st, 2023



vendredi 9 décembre 2022



 "Know who you love, and you'll know who you are"

Foucault & Sennett, 1982.